Michel DOUSSET


Du noir qui s'ouvre à la vie qui va...

Et si… Et si au commencement il y avait, non pas une page (ou une toile) blanche, mais le noir …
Arthur Rimbaud, lui qui a souvent cherché à fixer des vertiges, a associé la couleur noire à la première des voyelles, le A.
Tout commencerait-il donc par le noir ?
C'est bien là, sur ce noir, que Jean-Yves Lesage cherche aujourd'hui à peindre et à écrire, mêlant les mots et les lettres aux couleurs et aux formes.
Le noir serait-il aussi l'encre de sa vie ?

Une fois encore, l'œuvre peinte de Jean-Yves Lesage nous renvoie à ce qui lui est originaire, autrement dit à une certaine idée (la sienne) de ce qui lui aura été infantile. Sombre période, sans doute, sur laquelle il lui faut bien tenter de vivre.
Alors qu'Arthur Rimbaud cherchait à inventer un verbe poétique autre, Jean-Yves Lesage, lui, invente de ce noir originaire, par une invention de formes, de mots et de couleurs, la possibilité d'une vie autre.

Sous les pavés… la plage ! lisait-on sur les murs de mai 68…
Sous le noir… la possibilité d'une vie ? Sans doute, et c'est bien là l'itinéraire présent de Jean-Yves Lesage.

On peut l'imaginer peignant et s'étonnant de ce que ce noir lui inspire désormais.
On peut l'imaginer fixant - peut-être pas des vertiges - mais plutôt un foisonnement ludique qui viendrait non pas taire mais sublimer des douleurs ou des blessures passées.
On peut l'imaginer fixant un imaginaire réconcilié qui s'ouvre désormais à des perspectives insoupçonnées…

Du noir Jean-Yves Lesage fait surgir une en-vie qui s'invente à l'envi, surprenante et vive, vertigineuse et jouissive.


Michel DOUSSET

Jacques FERNANDEZ


Texte de Jacques FERNANDEZ

LESAGE,
Quand le mot outrepasse ses limites,
Quand il dégage un envoûtement de sa sonorité,
De son rythme, c’est là un autre domaine :
C’est l’indéfinissable.
C’est le langage propre à la poésie, à l’art ;
C’est le langage propre à la peinture de Jean-Yves LESAGE.
Le peintre ne cherche nullement à doubler le langage des mots :
Ces mots stables, communs, impersonnels.
Il s’agit « plus simplement » de suppléer leurs lacunes et leurs faiblesses.
« La peinture est un langage plus riche que celui des mots » (DUBUFFET) et Jean-Yves LESAGE nous en fournit la démonstration:
Par l’expression d’une réalité poétique digne d’un artiste authentique.
Par le pressentiment d’une signification différente et neuve car
« le propos de l’art est de nous dire ce qui n’a jamais été dit, de donner à cet indicible la forme plastique préjugée par lui impossible. (Charles ETIENNE.)
Cette forme plastique et expressive,
Cette chose à dire longtemps rêvée,
Il faut la voir, l’écouter, cheminer avec elle,
Tout simplement l’aimer.
C’est un don.


Jacques FERNANDEZ – Juillet 2005.

Jacques LECUYER


Texte de Jacques LECUYER - Lecture des oeuvres de Jean-Yves LESAGE

Entre les liens multiples d’une unité toujours à recentrer et la dispersion d’un chaos toujours limitrophe, le dialogue est perpétuel et cela relativise ces désordres joyeux. De temps à autre une flèche semble vouloir indiquer une direction, mais on devine que cet indice parcellaire ne suffira pas. Les êtres oscillent entre terre et ciel, au bord de l’eau les multitudes tournent autour d’une mer ravigotante. Poissons célestes, oiseaux plongeurs : la gravitation fait les pieds au mur, la Terre manque de masse. De petits voiliers prennent l’allure de gemmes spontanées, éclats ingénus d’une gaieté communicative. Ici, un arbre propose un axe ; là, cimes et astres tendent un lien horizontal à la manière d’une corde. Promenant leurs roues dans la profusion du monde, les cyclistes de passage ont la tête dans la sereine simplicité de l’univers stellaire.

Lorsque sourdent les ténèbres, la lumière est diffusée par un quadrillage luminescent. Au travers de ce quadrillage passe le regard que le spectateur est invité à porter ; il prime sur le thème car c’est au regard qu’il revient d’éclairer. Parfois ce sont les personnages qui phosphorent, mystère de la lumière présente en toute chose : blancs ombrés, visages auréolés. Toutefois, jamais ne brille le soleil, affable mais pusillanime compagnon de route. La transcendance est ailleurs, elle émane et monte des êtres. Toujours en voie de recentration, la paix se nourrit d’un peu de tout. Secourables, les fleurs témoignent des couleurs du possible.

Souvent intégré à la toile, le cadre procure à l’environnement le caractère rassurant d’un univers familier. Comme autant de joyaux, de petits cristaux circonscrivent l’harmonie naturelle, éternelle, du microcosme. Souvent carrés, ils sertissent des cadres également souvent carrés, à la sagesse immanente. Fréquemment d’ailleurs, le périmètre sacré du cadre fait partie de l’œuvre, l’imprégnant d’une loi d’harmonie personnelle qu’elle s’approprie.

C’est qu’en un tel monde se jouent des jeux décisifs. La paix et l’amour y sont griffés par le contact, la griffure creusant l’écart. Se dégager peut sauver, mais aussi blesser. La vision panoramique raconte par facettes les tribulations de multiples histoires croisées. Les personnages se tiennent, s’imbriquent. L’environnement les disjoint et pourtant par la suite les séries d’événements qui les orientent, mutuellement libres, se télescopent. Des lignes les partagent, elles se prolongent au-dehors ; mais un chamane est venu, il a apprivoisé les sillons qui s’estompent autour de lui.

Les amoureux s’éprennent, se prennent, recréent un espace de sens. Leur amour ouvre une porte à la renaissance de l’espoir. Pour autant, leurs regards lointains et leurs expressions suspendues ne témoignent vraiment d’aucun ravissement, ni d’aucune béatitude. Nous regardons leurs visages aux sentiments mélangés à partir de plusieurs points de vue ; à moins que ce soit eux qui considèrent la réalité sous plus d’un angle, d’un ailleurs à ailettes, d’un ailleurs à facettes. Les regards atones de ces personnage-univers se font parfois brûlants, éblouissants. Mais subsiste leur énigme : quelle direction désignent-ils ? On dirait qu’ils regardent ailleurs, à travers nous.
Jacques LECUYER

Régine MINET


Texte de Régine MINET

JEAN-YVES LESAGE ou Le Royaume enchanté.
Des traces sur le sable. Des couleurs de chant et de terre. Tout cela est inscrit dans le cœur de l’homme entre l’ombre et la lumière. La poésie est aussi composée du regard que nous portons sur nos expériences dépassées. Elle ressemble à ces fleurs chauffées au soleil qui n’exhalent leur parfum que la nuit venue. Jean-Yves LESAGE fait partie de ces artistes qui n’ont rien oublié: ni les chagrins, ni les peurs, ni les joies. Mais dans son monde, tout commence par un immense éclat de rire. S’il n’y a pas de dérision dans son travail, il y a jeux, sensualité, gravité et plaisir. Son rythme nous entraîne dans une partie de cache-cache où nous sommes tour à tour, chat et proie. Il apparaît bien que sa vérité soit dans cette dualité. Il se garde de prendre position pour que l’action rebondisse sans cesse selon son humeur et celle du spectateur. Le peintre utilise des signes qu’il grave sur la plage. Plage qu’il crée pour nous sur la toile. Une vague viendra sans doute recouvrir les dessins, mais nous savons que les plus beaux châteaux sont ceux que la mer a emporté pour abriter les sirènes. Ce rêveur s’est frotté au monde industriel. Il a d’abord marié le fer et le feu pour façonner les objets, des images. Puis avec intelligence et méthode, il a dominé les outils et enseigné les hommes. Quand il a compris que sa créativité ne trouvait plus sa substance dans le monde matériel, il a su lâcher prise pour partir à la recherche de notre source enfouie: l’enfance. C’est un adulte qui aujourd’hui, avec son expérience, nous conte l’essentiel: un rouge pour la flamme, un noir pour griffer, un blanc pour la quête, un bleu pour initier, un jaune pour chauffer, une volute pour calmer et conduire, une verticale pour la rigueur et la folie pour bousculer. Comme BRAQUE, il contient la forme, l’immobilise dans son vol pour que notre esprit rassuré laisse échapper la vie. Ce ne sera pas une colombe, mais le baiser bouche à bouche de deux petits poissons qui tracent l’infini. Ses échelles de Jacob sont aussi des jeux de go et des labyrinthes. Sa peinture est un feu d’artifice qui lie sur la poussière des étoiles, l’eau et le ciel. Peu à peu nous déchiffrons et nommons nos souvenirs épars, pour en faire des connaissances ludiques. Grâce à Jean-Yves LESAGE nous retrouvons les cailloux blancs de notre chemin, nous triomphons des méchants et devenons les princes du royaume enchanté.


Régine MINET Galerie Christi COUDERC - PARIS 5°

Jean-Pierre VILAIN


Texte de Jean-Pierre VILAIN

La peinture de Jean-Yves LESAGE est un travail de l’étonnement. A moins qu’elle n’en soit une invocation ou une variation. Car il s’agit ici d’une invitation entretenue à la surprise, au paysage des aléatoires, et, ce faisant, d’une méditation dont on ne sait si elle inquiète ou si elle offre l’espérance d’une libération. L’espace de la toile, chez LESAGE, n’a pas pour fonction de révéler le peintre.

Il est autre et il est double à la fois.

En effet, il s’apparente, tout d’abord, pour certaines, au caractère ocre de la paroi de la caverne, celle de Lascaux? Celle de Platon? Peu importe. En tout cas, au mur sur lequel butent les premières et vacillantes ombres autant que nos premières prières, nos rêves. Peindre, serait ce d’abord se détourner du soleil ? Pour retrouver cela, ce mur qui nous fait être. Pas si simple, cependant: en nous cognant contre le mur de ces premières ombres, nous découvrons- redécouvrons ? - qu’elles forment aussi comme des idéogrammes, comme des signes, comme une écriture sans grammaire, comme une parole avant toute syntaxe. Peindre, dès lors, serait ce remonter en deçà ou au-delà de l’Écriture. Et retrouver ce moment fondateur où face au monde, notre regard apprend à reconnaître qu’il lui importe d’être lecteur. Contrainte ou destin ?

C’est, peut-être, en tout cas, ce moment où le livre retrouvé invoque le lecteur perdu, enfoui mais indispensable, que voudrait peindre Jean-Yves LESAGE. Ce qui expliquerait que la fantaisie et même la drôlerie des touches vives et des signes empilés rompent, chez lui, à plaisir, à cœur de toile, avec l’obscurité, pourtant nécessaire, du retour à l’archéologie.

En butant sur l’obscure lecture du monde, peut être la peinture de LESAGE ouvre-t-elle aussi le travail ou le plaisir qui sait? Du jeu de sa réécriture. Acte au bout du compte où s’esquisserait le contact possible de la liberté.


Jean-Pierre VILAIN - Directeur d'Académie

Univers des Arts


Texte extrait de "Univers des Arts"

Ludique, la peinture de Lesage remplit un des rôles fondamentaux alloués à cette forme d’expression, qui est d’entraîner le spectateur vers un monde du merveilleux, c’est à dire dans une extension du réel.

Travail intelligent qui mène tout droit vers le royaume des Fées, les oeuvres de cet artiste quinquagénaire, sont détentrices d’un contenu, aussi riche que varié. Tantôt burlesques, voir grotesques, tantôt allégoriques ou bien encore intimistes, les compositions de Lesage savent toujours se dépasser et exprimer simultanément toute une mosaïque de sensibilités, dont les caractéristiques sont d’être chaque fois porteuses de beaucoup de poésie. C’est cette poésie qui permet de tenir les toiles, qui leur donne cette présence, cette vitalité et ce pouvoir magique qui force notre attention. Ce qui est particulièrement intéressant dans le travail de Lesage, c’est cette aisance, cette aptitude à la liberté qu’on retrouve chez les autodidactes, pour peu bien sûr, qu’ils aient l’âme solide et le cœur transparent. L’expression authentique d’une synthèse picturale qui découle de cet état, interpelle spontanément. Cette oeuvre pleine de candeur séduit par sa profonde fraîcheur. Tous les aménagements graphiques qui intègrent aux personnages présents une kyrielle de choses dessinées, s’organisent suivant des architectures imaginaires où le projet plastique accompli est l’élément primordial. Dénué de tout enfermement, les tracés viennent rythmer une chromatique instinctive, sans logique préétablie, soucieuse uniquement, de dispenser une correspondance vibrante de l’émotionnel.


Didier HENRI - Univers des Arts